Photo: Touaregs à Agadez © Sonia Shah
Si la Suisse, contrairement à d’autres pays, n’a pas pris de sanctions après le coup d’Etat du 26 juillet au Niger, la limitation des flux financiers rend le travail de Swissaid beaucoup plus difficile. La fermeture des frontières et de l’espace aérien entrave l’aide de l’Organisation internationale des migrations dans ce carrefour migratoire aux portes du Sahara
« Pour l’instant c’est calme dans les rues et tout marche bien, mais la nuit des jeunes montent la garde par peur d’une intervention militaire. Dans les villages, les paysans vont aux champs, malgré les fortes pluies. En apparence tout est normal, mais les gens sont stressés et derrière les visages souriants, ils souffrent de la flambée des prix. Par suite des sanctions, le sac de riz de 25 kg est passé de 10’000 à 15’000 francs CFA, nous connaissons des coupures d’électricité prolongées et même les produits pharmaceutiques sont devenus plus chers”, nous déclare Mahamane Rabilou Abdou, responsable du bureau de coordination de Swissaid, joint par téléphone à Niamey.
Présente au Niger depuis 1974, l’ONG suisse mène dans ce pays du Sahel, l’un des plus pauvres du monde, des projets d’agroécologie, d’accès à l’eau potable et de soutien aux femmes et aux jeunes. 32 collaborateurs, exclusivement locaux, continuent à travailler presque normalement, même si le niveau de sécurité a été relevé après le coup d’Etat du 26 juillet, qui a vu le général Abdourahamane Tchiani renverser le président Mohamed Bazoum. En guise de protestation, la CEDEAO, l’Union européenne et des pays comme la France ont imposé de lourdes sanctions économiques et financières.
Période de soudure rendue encore plus difficile par la flambée des prix
« Ces sanctions ont sévèrement impacté nos projets car les transactions financières sont limitées, continue Mahamane Rabilou Abdou. La banque centrale ne fonctionne plus, les banques commerciales ne disposent que de leurs fonds propres et les retraits sont plafonnés à une estimation de 2’000 francs suisses par opération. Mais notre plus grande inquiétude est la flambée des prix qui complique la situation et nous sommes en train de mettre en place des projets d’urgence. »
En temps normal, explique-t-il, l’été correspond à la période de soudure, celle où il n’y a pas de nourriture et pendant laquelle on prépare les futures récoltes. Durement impactée par le changement climatique, la production agricole est de plus en plus limitée, elle ne permet de couvrir que six à neuf mois de nourriture et le reste du temps les paysans doivent se débrouiller : certains partent en exode, d’autres diminuent leur ration alimentaire en passant de deux à un repas par jour, voire mettent leur maison en gage en attendant la prochaine récolte. Cette situation difficile est rendue encore plus tendue par la crise actuelle.
La Suisse n’a pas pris de sanctions
« Nous espérons que la Suisse ne prendra pas de sanctions, car c’est la population qui en subit les conséquences. La DDC [Direction du développement et de la coopération] a évacué son personnel expatrié et affirme suivre la situation de près. Mais tout en condamnant la prise de pouvoir par l’armée, elle plaide pour le dialogue et assure un minimum de continuité de ses activités, y compris humanitaires. Nous en sommes satisfaits », se félicite le coopérant.
Pour Swissaid, pas question d’évacuer le personnel expatrié, vu qu’il n’y en a pas – ce qui est rares parmi les ONG sur place. Elle soutient onze organisations paysannes de 2’000 – 3’000 adhérents chacune, qui fixent leurs priorités en matière de semences paysannes « Donc nous ne sommes pas trop impactés par les restrictions de déplacement car nous avons tout délégué aux communautés locales, dans une approche de développement communautaire », souligne Rabilou. La fondation vient d’annoncer qu’elle augmente son aide d’urgence pour répondre à l’insécurité alimentaire.
Fermeture de l’espace aérien du Niger et des frontières
La CEDEAO a même menacé d’intervenir militairement pour rétablir le président déchu. « La population est stressée par cette menace et l’incompréhension est totale, car dans les autres pays de la région où il y a eu des coups d’Etat – Burkina Faso, Mali – elle n’a jamais été brandie. Les gens pensent qu’il y a beaucoup de non- dits et que nous subissons une injustice. Les ONG internationales, comme la nôtre, ont fait du plaidoyer vis-à-vis de la communauté internationale afin de trouver un compromis sur la crise actuelle », relève le coopérant.
Pour prévenir une intervention armée, la junte au pouvoir a fermé les frontières et l’espace aérien. Ce qui a considérablement compliqué le travail de l’Organisation internationale des migrations (OIM), particulièrement crucial dans ce carrefour migratoire entre l’Afrique et la Méditerranée, notamment dans la région de Agadez, porte du Sahara. « Il est important de noter que la situation évolue encore et que l’impact total que cela aura sur les schémas migratoires nécessitera un suivi et une analyse plus approfondie, nous déclare Paola Pace, cheffe de mission a.i. de l’organisation au Niger. Pour l’instant, l’OIM accueille 4 867 migrants dans ses sept centres situés le long des routes migratoires (quatre dans la région d’Agadez et trois dans la région de Niamey). »
Personnes bloquées sur les routes migratoires
La responsable relève que la situation actuelle présente des défis opérationnels complexes qui empêchent le retour rapide des migrants en transit et sous l’assistance de l’OIM. « Le risque est d’augmenter le stress de personnes qui ont déjà vécu des situations difficiles et qui peut se traduire par des frustrations ou des tensions au sein des centres, mais également en dehors où des centaines de migrants attendent une assistance », relève-t-elle.
Elle souligne que cette situation pose des défis importants tant pour les migrants que pour les humanitaires. « La fermeture de l’espace aérien du Niger a un impact sur la mobilité et en particulier sur les retours volontaires de l’OIM car les mouvements programmés sont temporairement suspendus. Elle a aussi restreint l’accès aux régions excentrées du pays, ce qui pose des difficultés pour atteindre les populations vulnérables ayant besoin d’aide. Le transport des fournitures essentielles, du personnel et des ressources médicales devient plus compliqué et prend plus de temps, ce qui empêche de répondre rapidement aux crises humanitaires. Finalement, la fermeture continue des frontières affecte gravement la vie des migrants bloqués au Niger et les programmes de l’OIM », conclut Paola Pace.
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