Elle Photos des salines d’Ettore e Infersa © Isolda Agazzi
Le 4 et 5 août, dans la laguna dello Stagnone de Marsala, à l’ouest de la Sicile, devait commencer la récolte du sel, qui se fait encore en grande partie à la main. Normalement effectuée début juillet, elle a été retardée par le dérèglement climatique, qui a affecté l’activité d’une des plus anciennes salines du monde, créée il y a près de 3’000 ans par les Phéniciens. Mais des pluies prévues pour demain soir ont repoussé encore une fois le début de la récolte au 7 août
Dans l’eau teintée de rose, deux hommes s’affairent sous le soleil écrasant de Marsala, à l’ouest de la Sicile. Dans la laguna dello Stagnone, les salinari remuent le sel pour préparer la récolte qui aura lieu dans quelques jours. «C’est un travail éreintant, on a les pieds dans l’eau salée huit heures par jour, ce n’est pas pour tout le monde, mais on a l’habitude ! » lance fièrement l’un d’eux, un ouvrier de la région, avalant goulument une grosse gorgée d’eau.
Instabilité climatique
Andrea Sammartano, le curatolo de la saline Ettore et Infersa, s’avance, chaussé de grosses bottes. Il est chargé de contrôler le processus d’évaporation de l’eau, un métier qu’il a appris de son père. Cette année, il a décidé que la récolte se ferait le 4 et 5 août et non début juillet, comme d’habitude. En cause, l’instabilité climatique : de petites pluies tombées en mai et juin ont retardé la production de sel. Car pour l’extraire, il faut de la chaleur. Or, comme la pluie est prévue pour demain soir, après une vague de chaleur torride, le curatolo vient de décider de repousser le début à lundi 7 août.
Mozia, fondée par les Phéniciens
La mer comme matière première, le soleil pour faire évaporer l’eau et le vent pour faire tourner les pales des moulins. Voici les ingrédients on ne peut plus naturels de ces salines créées par les Phéniciens. Ces brillants navigateurs, venus de l’actuel Liban sur des navires dépourvus de coques, ne s’éloignaient jamais des côtes. Dans cette baie à l’abri des courants, ils ont fondé au 8e siècle av JC Mozia. Dans cette petite cité industrielle pourvue de laboratoires, ils travaillaient l’or et le fer. Ils tissaient la laine et la teignaient eux-mêmes.
L’or blanc
S’étant aperçus de la salinité particulière de cette eau à basse profondeur, ils construisirent des vasques pour extraire le sel par évaporation naturelle. Ce minéral allait devenir un véritable or blanc. Dès lors, il fut commercialisé par les Romains, qui l’utilisaient comme monnaie d’échange (d’où le mot « salaire »), et par les Arabes qui envahirent la Sicile autour de l’an 1000. Les salines furent peu à peu délaissées jusqu’à la conquête espagnole au 15ème siècle.
Sel extrait à la main, relève difficile
Aujourd’hui presque tous les moulins à vents, qui servaient à pomper l’eau et à moudre le sel, ont été remplacés par de petits moteurs. Mais leur architecture traditionnelle aux dômes rouges confère un cachet particulier à cette réserve de 2’000 hectares près de Marsala. Le plus célèbre date de 1500 et il est le seul encore en fonction en Sicile. En été, il est recouvert de voiles blanches deux fois par semaine et actionné pour le plus grand bonheur des photographes. Au coucher du soleil, ils peuvent immortaliser l’un des plus beaux paysages de l’île. La couleur rosée du ciel se reflète comme dans un miroir dans les eaux peu profondes du lagon recouvert de sel.
La vis d’Archimède
A part cela rien n’a vraiment changé et le précieux minéral est encore extrait en grande partie à la main. Les salines se composent de plusieurs vasques de différentes profondeurs et températures, reliées les unes aux autres par de petits canaux. L’eau de mer entre dans les plus éloignées, qui sont aussi les plus profondes et froides et passe petit à petit dans les plus basses et chaudes. Ici elle s’évapore. Ce passage est actionné par la vis d’Archimède, un brillant Sicilien né à Syracuse au 3ème siècle av. JC, pionnier de la physique et des mathématiques.
10’000 tonnes de sel par an
Habituellement trois récoltes sont effectuées par an pour un total de 10’000 tonnes produites. La plus importante est celle de début juillet. Une dizaine de salinari sont à pied d’œuvre pour casser le sel et l’amonceler le long des petits chemins qui séparent les vasques. Dans le temps, ils s’accompagnaient de chansons aux sons arabisants. C’est un travail estival et cette année l’opération devrait avoir lieu de 16h à minuit. En hiver on ne produit pas de sel.
Promouvoir le salitourisme
30% de la production de sel dans le monde vient des salines, le 70% restant des mines. Mais dans les premières la seule activité de production n’est plus rentable. A cause des coûts élevés et du manque de main d’œuvre, les jeunes rechignant à continuer l’activité de leurs aînés. “Nous promouvons le salitourisme pour diffuser la culture du sel car le métier de salinaro va disparaître petit à petit”, nous déclare Ane Caroline Costa Aniceto. Elle est la responsable marketing de Ettore et Infersa, qui appartient à des privés.
Sel haut de gamme
“Nous voulons continuer à promouvoir cette production malgré les difficultés, c’est un choix d’entreprise, continue-t-elle. Et nous misons sur le haut de gamme. Nous sommes les seuls en Italie à produire du sel marin à indication géographique protégée (IGP)”. Un projet d’écotourisme permet aux visiteurs de parcourir les salines. Ils peuvent ainsi jouer aux salinari pendant un jour et observer les oiseaux. Dans l’espoir de perpétuer la tradition salinière de cette côte entre Trapani et Marsala. Et de poursuivre la production d’un des plus vieux sels du monde.
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