Éboulement dans le Lötschental

Éboulement dans le Lötschental

Photo: Tschäggättä © Isolda Agazzi

J’ai emprunté des routes dangereuses partout dans le monde, mais jamais je n’avais été bloquée par un éboulement. C’est désormais chose faite dans le Lötschental, où un pan de montagne est tombé sur la route hier, juste après notre passage. Nous venions de visiter les masques inquiétants des Tschäggättä, mais ces personnages de carnaval n’y sont pour rien : le changement climatique a encore frappé

Toi, tu t’aventures sur les routes les plus dangereuses du monde et il ne t’arrive rien. Puis un jour, tu vas au fin fond de la Suisse et tu restes bloquée.

Ethiopie, Touchétie, Colombie

En 1993, en Ethiopie, on avait emprunté l’un des seuls axes routiers existants à l’époque, construit dans les années 1930 par les colons italiens et encore plus ou moins praticable… Mais pas avec ce bus de ligne qui n’était pas beaucoup plus récent et qui braquait tellement près du vide que les passagers se confondaient en signe de croix et en prières pour s’en remettre à qui de droit.

L’année passée, en Touchétie, région reculée du Caucase géorgien, à un jet de pierre de la Russie, on avait parcouru la piste non goudronnée qui relie le village d’Omalo à la Kakhétie. Celle-ci est considérée comme l’une des plus dangereuses du monde. Des tournants vertigineux ouvraient sur des vallées taillées à flanc de montagne. Le bus descendait vaillamment, sans la moindre barrière de protection à l’horizon. Epuisée par deux semaines de randonné dans des montagnes escarpées, j’avais eu la chance de m’assoupir pendant tout le voyage, un bandeau posé courageusement sur les yeux pour ne pas voir les abîmes. La route est souvent fermée, mais cette fois-là on avait eu de la chance et on était même arrivés en bas sains et saufs.

Plus récemment, en Colombie, rebelote sur une route vertigineuse. Celle-ci est praticable en principe, mais pas avec le bus citadin qui nous avait échu. Fumant et toussant, il nous avait quand même amenés sur le paramo de Santurban, à 4’000 mètres d’altitude. Là on était tombés dans une ornière dont on n’arrivait plus à se défaire, jusqu’à l’arrivée des vaillants bomberos (pompiers) colombiens. Ce n’est qu’à la nuit noire, lorsque le passager a la chance de ne pas voir le vide, que nous avions regagné la ville de Bucaramanga.

Dans le Lötschental, l’inquiétude des Tschäggättä…

Puis un jour tu t’aventures dans le Lötschental et tu restes bloquée pendant un jour – ou deux, on ne sait pas encore. Le Lötschental ? L’une des vallées les plus reculées de Suisse, dans le Haut-Valais. Une région particulière, où les habitants parlent un dialecte tellement serré que même les autres Suisses alémaniques du pays ont de la peine à le comprendre. Où ils défendent fièrement leur identité et leurs coutumes, à commencer par les célèbres masques que les Tschäggättä arborent pendant le carnaval.

Jeudi soir, nous étions allés visiter la Blauenstube à Wiler, une vieille maison villageoise siège d’une association. Le brave Heinrich taille dans le bois des masques effrayants, tous différents. Ruth, sa femme, les peint dans des couleurs vives et, pendant le carnaval, elle les pose sur le visage des habitants, qu’elle affuble de vieux costumes en laine épaisse et de peaux d’animaux. Une grosse cloche de vache sur les flancs, vêtus d’un attirail qui peut peser jusqu’à 40 kg et les faire mesurer jusqu’à trois mètres, ces personnages terrifiants se promènent dans les rues des villages, surtout à la nuit, pour effrayer les gens. Ainsi habillés, impossible de les reconnaître et, on sait, à carnaval tout est permis.

Les touristes ne sont admis à visiter qu’un ou deux jours par an cette coutume préservée, dont les origines se perdent dans l’histoire. Ruth raconte que les habitants auraient créé ces masques pour aller protester contre le décime que le seigneur de la vallée leur imposait de payer. Ce seraient des masques révolutionnaires donc, mais d’autres théories circulent et ils gardent tout leur mystère, comme il se doit.

…. et du changement climatique

A la fin de la visite, un violent orage s’est abattu sur la vallée, d’abord bienvenu car amenant un peu de fraîcheur après la canicule, puis se faisant toujours plus menaçant. Les Schäggättä nous ont-ils porté malchance ? Toujours est-il que juste après notre passage, la montagne s’est déchaînée et un éboulement est tombé sur la route entre Wiler et Blatten, où nous venions de passer. Conséquence : elle est fermée pendant 24 heures, mais cela pourrait durer plus longtemps.

Nous sommes donc bloqués dans le Lötschental. Dans cette région idyllique  nous aurons tout loisir de voir de près les conséquences du changement climatique. Celui-ci est le vrai responsable de l’éboulement, les masques terrifiants n’y sont pour rien. Les célèbres glaciers qui font la notoriété de la vallée sont en train de se réduire à la portion congrue, à commencer par le Langgletscher qui surplombe Fafleralp. Vendredi, dans le minuscule village sis à près de 2’000 mètres d’altitude, le thermomètre affichait 30 degrés à l’ombre. Le Schwarzsee, l’un des nombreux lacs noirs de Suisse, une température de 21 degrés.

Depuis quelques années, nous assurent les habitants, les éboulements sont devenus un phénomène récurrent. Celui d’hier, qui a coupé la route, à défaut de nous tomber sur la tête – il en a fallu de peu – devrait nous inspirer dans nos réflexions sur le changement climatique.


La route est fermée pour une durée indéterminée, mais samedi matin nous avons été évacués par les valeureux pompiers et la Protection civile du Lötschental

COMMENTAIRES

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  • commentaire avatar
    Lang 3 mois ago

    J’ai trouvé cet article bien écrit, pertinent et d’actualité.
    J’étais présent en Touchétie et c’est bien dommage d’avoir les yeux bandés quand il est possible de vivre de telles sensations fortes!

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