Bangladesh : une révolte du textile pour rien

Bangladesh : une révolte du textile pour rien

Révolte des travailleurs du textile du Bangladesh © Clean Clothes Campaign

En octobre, les travailleurs du textile du Bangladesh ont organisé une révolte pour demander un quasi triplement de leurs salaires. Trois semaines plus tard, obligés de reprendre le travail, ils n’ont obtenu qu’une augmentation de 56%. Une somme dérisoire qui, de surcroît, sera grignotée par l’inflation. A qui la faute ? Et que peuvent faire les consommateurs?

La révolte des travailleurs du textile du Bangladesh a été violemment réprimée et sept dirigeants syndicaux sont encore en prison. Le 7 novembre, Sheik Hasina, la toute puissante première ministre, qui briguera un cinquième mandat lors des élections du 7 janvier, a intimé aux ouvriers de reprendre le travail, sous peine de « devoir retourner dans leurs villages. »  Après trois semaines de mobilisation, ceux-ci ont obtenu une augmentation du salaire minimal de 56% – à 102 CHF -, alors qu’ils demandaient 190 CHF (23’000 Takas).

Deuxième exportateur de textiles au monde

Le sujet est ultrasensible : le Bangladesh est le deuxième exportateur de textiles au monde, derrière la Chine. Dans ses 3’500 usines travaillent 4,4 millions d’ouvriers – en majorité des femmes – et les vêtements qu’ils produisent représentent 85% des 55 milliards USD d’exportations annuelles du pays. Le Bangladesh fournit toutes les grandes marques occidentales, au point qu’un vêtement sur cinq vendu en Europe provient de ce pays d’Asie du Sud-Est. C’est le deuxième plus grand producteur de textiles au monde, après la Chine, mais il se situe tout en bas de l’échelle salariale.

« La situation est très difficile car les salaires minimums n’augmentent que tous les cinq ans, peu avant les élections, analyse David Hachfeld de Public Eye, membre de la campagne internationale d’ONG Clean Clothes Campaign. C’est donc très politique. L’inflation est très élevée, à 15%, si bien qu’au cours des cinq dernières années le pouvoir d’achat des travailleurs s’est fortement érodé. Aujourd’hui, l’augmentation des salaires est officiellement de 56 %, mais si l’on exclut l’inflation, elle n’est que de 15 %. En 2024 il n’y aura pas d’augmentation et la prochaine aura lieu dans cinq ans. D’ici là elle sera entièrement engloutie.»

Course vers le bas au niveau international

De surcroît, dans un monde hyper-globalisé, où les pays se font concurrence pour attirer les investisseurs étrangers et séduire les acheteurs, cette situation entraine une course vers le bas des salaires au niveau international : « Au Cambodge, nos collègues syndicalistes nous disent qu’ils ne peuvent pas augmenter le salaire minimum parce que le gouvernement affirme qu’il est déjà le double qu’au Bangladesh », se désole le militant.

Mais alors qui est responsable ? « Les employeurs et le gouvernement du Bangladesh sont très proches. De nombreux parlementaires sont des industriels et propriétaires d’usines, il y a donc une grande connivence entre le pouvoir politique et le pouvoir économique. Ce sont les premiers responsables car, du pont de vue des droits humains, les Etats ont le devoir d’assurer un salaire minimum suffisant pour couvrir le coût de la vie », assure David Hachfeld.

Fabricants payés moins de 2 francs suisses par pièce

Sauf que leur argument est que s’ils augmentent les salaires ils ne seront plus compétitifs, ce qui renvoie la responsabilité aux acheteurs internationaux. « Le prix payé aux fabricants bangladeshi est inférieur à 2 CHF par pièce et il inclut les matériaux et les heures de travail, réfléchit le militant. Les employeurs n’ont donc pas beaucoup de flexibilité ; selon moi, ils devraient refuser de produire à des coûts aussi bas. Les marques internationales doivent cesser de payer si peu leurs fournisseurs et sous-traitants ! Nous avons exhorté soixante d’entre elles à publier des déclarations en faveur de l’augmentation des salaires, mais seule Patagonia l’a fait et elle n’a que deux usines au Bangladesh. Les grands acteurs que sont Inditex (Zara, dont le siège est à Fribourg), H&M, C&A, Vero Moda, ne se sont pas exprimés. »

Boycotter le Made in Bangladesh serait contre-productif

Alors que peuvent faire les consommateurs ? Boycotter le Made in Bangladesh? “Non, le boycott ne ferait qu’empirer les choses, répond l’expert. Les consommateurs devraient exprimer leur solidarité avec les travailleurs en écrivant directement aux entreprises. On observe de mauvaises conditions de travail non seulement au Bangladesh, mais aussi ailleurs, et même au Bangladesh il y a des fabricants plus responsables. Il ne s’agit donc pas de monter un pays contre l’autre, mais d’appeler chaque entreprise à assumer ses responsabilités. »

David Hachfeld souligne aussi la responsabilité des gouvernements occidentaux : « Les Etats-Unis se sont exprimés très clairement, appelant le gouvernement bangladeshi à augmenter les salaires et dénonçant la répression à l’encontre des dirigeants syndicaux. La Suisse n’a rien fait de tel, elle devrait envoyer un message clair au gouvernement du Bangladesh (#23000tk) »

Les marques devraient mieux payer les producteurs

Finalement, en ce qui concerne nos comportements d’achat, il estime qu’avec les articles à très bas prix, comme les T-shirts à 5 CHF ou moins, il n’est pas possible de produire de manière responsable – les marges sont trop faibles. Pour ce qui est des prix moyens, cela dépend du modèle commercial de la marque, mais il serait possible de rémunérer équitablement le producteur et le détaillant, sans augmenter le prix d’achat pour le consommateur. Pour cela, il faudrait que les marques réduisent leurs marges. Ce qui impliquerait probablement de produire moins de choses, mais qu’on puisse vendre plus longtemps et qui garantissent une marge suffisante.

« Inditex et d’autres grandes marques réalisent d’énormes bénéfices. Ils pourraient en prendre une partie pour verser un meilleur prix aux producteurs du Bangladesh », conclut le militant.


Une version de cette chronique a été publiée dans l’Echo Magazine

COMMENTAIRES

WORDPRESS: 1
  • commentaire avatar

    Article très intéressant Isolda.

    Un modèle commercial où les marges seraient plus faibles permettrait de redéfinir pas mal de choses, en effet. Et pas uniquement dans le domaine du textile bien évidemment. Les raisons qui pourraient expliquer que ce schéma commercial, désavantageux pour les plus vulnérables, est bel et bien toujours en place ont été pour le peu abordées dans cet article :

    – Connivence entre industriels et gouvernement
    – Monde hyper-globalisé
    – Modèle de consommation inadapté
    – Positionnement éthique des pays développés quasi inexistant.

    Tout comme pour les enjeux climatiques, la solution est une prise de conscience globale afin de positionner le production industriel sous le spectre et de l’éthique et surtout de l’efficience.

    Sans prise de conscience et sans changement radical de paradigme, vous risquez malheureusement d’écrire encore et encore sur le sujet.

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