Rafaela Tanner est la pionnière de la danse Bollywood à Genève et dispense des cours dans le cadre de l’école Kalaajeewan. Fondatrice de l’association Elisha pour les enfants malentendants, elle s’engage depuis trente ans auprès des plus démunis en Inde, de Mère Teresa au Dr Jack Preger, le fondateur de la médecine de rue, en passant par le Lifeline Express Train. Avec l’Amour comme fil conducteur
Quelques femmes vêtues de pantalons bouffants s’essaient au dipping, le pas de base, au rythme enjoué d’une chanson de Devdas, un célèbre film de Bollywood. Elles tendent les mains dans une posture rituelle et tournent sur elles-mêmes, pieds nus sur les dalles en béton de l’écoquartier des Vergers, à Meyrin. En ce samedi après-midi d’un été on ne peut plus indien, elles effectuent un stage de Bollywood sous la houlette de Rafaela Tanner, pionnière de cette danse à Genève. Une jeune mère s’approche pour féliciter les danseuses en herbe. « Elle est d’origine pakistanaise, elle a grandi avec les films de Bollywood, je l’ai incitée à s’inscrire aux cours », sourit la professeure.
Des cours qui se tiennent dans le cadre de Kalajeewan, littéralement « l’art c’est la vie », une école de danse et association dont le but est d’offrir des cours gratuits à des personnes défavorisées ou porteuses de handicap léger. Mais comment cette quinquagénaire élégante, qui aime la vie, la fête et les mondanités, est-elle tombée amoureuse de l’Inde au point d’y faire du bénévolat et d’amener le Bollywood sous nos latitudes ?
Une histoire d’amour de mère en fille
« L’Inde, c’est ma destinée, nous explique-t-elle à la fin du cours. Je l’ai connue à la mort de ma mère, une Vaudoise qui était hôtesse de l’air chez Air India. Elle a eu un cancer foudroyant qui l’a emportée en six mois. J’ai eu beaucoup de difficulté à faire le deuil et j’ai décidé d’aller dans le pays de son cœur. C’est une histoire d’amour avec un grand A, une espèce de filiation avec mes deux filles, que j’ai adoptées dans un orphelinat de Mère Teresa. »
Lorsqu’elle se rend à Bombay pour la première fois en 1995, Rafaela est fascinée par les affiches de films Bollywood peintes à la main. A l’époque elle dirige une école de danse classique à Genève, avec son mari, et décide de se lancer dans cette nouvelle discipline. « Ce n’est pas une danse académique au sens strict, c’est du cinéma, précise-t-elle. Dans tous les films de Bollywood il y a six séquences de danse, chaque chorégraphe a son style et j’ai créé le mien. » Très rapidement le succès est au rendez-vous et elle compte jusqu’au 300 élèves – surtout des Suissesses, ce genre de danse un peu dénudé étant assez mal vu en Inde.
Elisha, une association pour enfants malentendants
En parallèle elle crée Elisha, du nom de la fille d’un monsieur qui tenait un magasin de DVD à Juhu, le quartier des acteurs de Bombay, et avec qui elle avait sympathisé. L’association vise à soutenir les enfants malentendants, une idée née de la rencontre avec une jeune fille de l’école Saint Joseph pour laquelle les parents cherchaient des appareils auditifs. Après l’école catholique, l’infatigable Suissesse travaille pour la Shruti School, où cohabitent toutes les religions et qu’elle continue à la soutenir par le biais de son association. Selon les dons, elle finance l’écolage, les appareils auditifs externes, voire la chirurgie et les implants, « mais actuellement le porte-monnaie est assez vide », regrette-t-elle.
Mère Teresa et le Dr. Jack Preger
Un engagement qui a été suivi par beaucoup d’autres, à commencer par celui avec Mère Teresa. « J’en avais entendu parler comme tout le monde ; j’ai reçu une éducation catholique qui est importante pour moi et j’avais très envie de la rencontrer, mais elle est décédée avant [en 1997]. Mais j’ai connu toutes ses sœurs, ce sont des femmes très joyeuses, chez elles il y avait de la musique, du Bollywood, elles dansaient et chantaient. Mes filles adoptives n’ont pas été malheureuses. Leurs mamans les ont amenées à « l’orphelinat » à la naissance, mais grâce à ces femmes extraordinaires, elles n’ont pas souffert. Mon fil conducteur, c’est l’amour. »
D’où un coup de foudre pour les projets du Dr. Jack Preger, le fondateur de la médecine de rue à Calcutta, dont on lui avait envoyé des vidéos. Après avoir longtemps cherché, elle réussit à le contacter et à se faire engager comme bénévole, même si elle n’a pas de formation médicale. Elle sillonne les rues des bidonvilles sur de petites camionnettes qui prodiguent des soins d’une façon très organisée. « Le Dr. Jack est toujours en vie, mais il est très âgé. Je l’ai rencontré dans sa petite chambre, il n’y avait qu’un lit et une table, j’ai été très frappée par son humilité et son humour », se remémore-t-elle.
Lifeline Express Train
L’autre coup de foudre, c’est pour Life Line Express Train, un train « magnifique, décoré avec des fleurs » qui sillonne l’Inde et s’arrête pendant un ou deux mois pour opérer des cataractes, des becs de lièvre, ou des troubles auditifs. Lorsqu’elle voit le documentaire, elle a envie d’y monter, mais impossible de trouver le contact… A la fin du générique elle aperçoit le nom d’Anil Darse, arrive à le retrouver et lui demande s’ils acceptent des volontaires. Un peu perplexe, il finit par l’engager. Elle prépare les injections et les pansements, mais s’occupe surtout des gens.
« En un mois on a reçu 8’000 personnes, ils ont effectué 1’000 opérations ! s’exclame-t-elle. Il y avait des files d’attente énormes, beaucoup de personnes âgées qui venaient des villages et dix minutes après ils étaient dehors. Moi je réconfortais ces femmes, je les prenais dans mes bras. En Inde il y a une espèce de pudeur au niveau des gestes, mais personne ne m’a refusé ce hug. »
Mais le covid est passé par là et il a changé la vie de Rafaela, comme de beaucoup d’artistes qui peinent à retrouver autant d’élèves qu’avant. Elle rêve de retourner prochainement en Inde. « Là-bas le travail te tend les bras, les besoins sont partout. Les Sadhus de Varanasi ne disent-ils pas que le bonheur c’est de n’avoir rien ? »
Cet article a été publié dans l’Echo Magazine
COMMENTAIRES