Le film Oppenheimer raconte l’histoire de l’invention de la bombe atomique par le physicien américain Robert Oppenheimer. Une menace redevenue d’actualité avec la guerre en Ukraine. Le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) en interdit toute utilisation, même à des fins dissuasives, mais les pays possesseurs et les membres de l’OTAN refusent de le signer. La Suisse aussi, alors qu’elle devrait donner un signal politique fort
Au-delà de la narration historique, le film illustre bien les doutes presque philosophiques de ce scientifique qui, une fois son invention menée à bien, voit celle-ci lui échapper des mains pour se transformer en arme de destruction massive. « C’est ma responsabilité, pas la vôtre », lui rétorque le président américain Truman après avoir lâché la bombe sur les villes japonaises de Hiroshima et Nagasaki, à la fin de la deuxième guerre mondiale. Mais cela n’apaise pas Robert Oppenheimer, qui craint pour l’avenir de l’humanité, alors que le président continue le programme nucléaire pour développer des bombes de plus en plus puissantes. A commencer par la bombe à hydrogène – ou bombe H -, une version de la bombe atomique qui provoque des réactions nucléaires en chaîne.
Menace nucléaire de la Russie
Si le film connaît un tel succès au box-office, c’est sans doute à cause de l’actualité géopolitique. Alors que la possession de la bombe nucléaire avait eu un effet dissuasif et garanti la paix pendant près de 80 ans, l’agression de l’Ukraine par la Russie et la menace d’une intervention nucléaire brandie par Moscou, font trembler le monde. Le traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) interdit pourtant leur développement, production, utilisation et même menace. Entré en vigueur en janvier 2021, il est le fruit d’un intense travail de lobbying mené par la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICANW), une coalition de 652 ONG du monde entier dont le siège est à Genève. Elle s’est vu décerner le prix Nobel de la paix en 2017.
Prévenir la guerre ou l’aggraver ?
« J’ai vu le film le jour où il est sorti et je l’ai trouvé très bon et opportun, nous déclare Florian Eblenkamp, le responsable du plaidoyer de l’organisation. Il pose les bonnes questions : les armes nucléaires préviennent-elles la guerre ou l’aggravent-elles ? C’est tout le dilemme. Par contre, je n’ai pas aimé le fait qu’il fasse très peu de cas du côté humain des souffrances causées. La fin est une très bonne ouverture pour entamer une discussion sur la gestion des armes nucléaires au niveau international. »
Il explique que la bombe testée par Oppenheimer, bien que déjà terrible, était beaucoup plus petite que celle qui existe aujourd’hui, cent fois plus puissante. Le TIAN est le seul traité international interdisant toute action sur les armes nucléaires, même la menace de les utiliser, comme le fait Poutine. Il va beaucoup plus loin que les autres traités existants. La Suisse, par exemple, qui refuse de signer le TIAN, a signé le Traité sur la non- prolifération des armes nucléaires, qui interdit leur développement.
Neuf pays ont des armes nucléaires et six en hébergent
Aujourd’hui neuf pays possèdent des armes nucléaires – Russie, Etats-Unis, Chine, France, Grande-Bretagne, Pakistan, Inde, Israël et Corée du Nord – et six en hébergent sur leur territoire – l’Italie, la Turquie, la Belgique, l’Allemagne et les Pays-Bas des armes américaines ; la Biélorussie peut-être des armes russes, mais on ne sait pas exactement.
69 Etats ont ratifié le TIAN, mais aucun qui possède l’arme nucléaire et aucun membre de l’OTAN. En Europe, quatre pays l’ont ratifié et ils sont tous neutres: l’Autriche, l’Irlande, Malte et le Vatican. « En signant ce traité, la Suisse ne changerait rien à la situation actuelle, mais elle enverrait un signal fort qu’elle s’engage en faveur du désarmement, souligne Florian Eblenkamp, d’autant qu’elle a adhéré à tous les autres traités interdisant les armes de destruction massive. Le Parlement a demandé au Conseil fédéral de le faire, mais celui-ci ne suit pas. »
L’ICANW essaye de rallier davantage de pays au traité. Cuba, le Kazakhstan et le Venezuela, qui sont très proches de la Russie, et des pays africains, l’ont fait et le Brésil adhérera d’ici la fin de l’année.
La Suisse, qui n’est pas membre de l’OTAN et affiche fièrement sa neutralité et son attachement aux valeurs humanitaires, devrait adhérer au TIAN pour donner un signal fort en faveur de la paix, particulièrement par les temps troublés qui courent.
Une version de cette chronique a été publiée dans l’Echo Magazine
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