La lettre du pape François aux anciens prisonniers argentins

La lettre du pape François aux anciens prisonniers argentins

Sergio Ferrari, ancien prisonnier politique argentin réfugié en Suisse, a reçu une lettre du pape François à qui il avait envoyé le livre « Ni fous ni morts ». La reconnaissance, selon lui, du travail de mémoire collective de l’association El Periscopio et qui s’inscrit dans la droite ligne de l’engagement social du pontife

Cela n’arrive pas tous les jours de recevoir une lettre du pape en personne. C’est pourtant arrivé à Sergio Ferrari le 27 décembre – pile le jour où, il y a 44 ans, il a été expulsé de l’Argentine vers la Suisse, où il avait obtenu l’asile. « Faut-il y voir un signe ? » se demande, amusé, le journaliste, installé depuis lors à Berne. La missive papale était adressée à El Periscopio, l’association des anciens détenus politiques de la prison de Coronda où lui-même a été incarcéré pendant trois ans, et qui a publié « Ni fous ni morts ». Cet ouvrage collectif narre l’enfer de la vie en prison sous la dictature, mais aussi la façon dont les auteurs, alors âgés d’une vingtaine d’années, ont rivalisé d’astuces pour survivre et ne pas devenir fous.

« Œuvrer avec audace pour une société juste et fraternelle »

Sorti en Argentine en 2003 (et déjà à sa troisième édition), le livre est paru en français en 2020. Lors de sa publication en italien, en septembre 2022, l’association a demandé à Italo Cherubini, un ami théologien qui devait se rendre au Vatican, de le remettre au pape argentin. « La lettre de François est courte, mais à notre avis elle n’est pas seulement une formalité, nous confie Sergio Ferrari. Car il y a ce passage qui dit : « je vous encourage à continuer à œuvrer avec audace pour la construction d’une société juste et fraternelle ». Sans vouloir surinterpréter, je crois qu’elle exprime la reconnaissance du pape pour notre travail de mémoire collective en faveur de la recherche de la vérité et de la justice, en vue de la construction d’une société fraternelle. »

Il ajoute que depuis le début de son pontificat, le pape argentin soutient la société civile de son pays d’origine qui se mobilise autour de la question des droits humains. Il a écrit aux mères et aux grand-mères de la Plaza de Mayo [qui recherchent les disparus de la dictature], au prix Nobel de la Paix Adolfo Perez Esquivel et, visiblement, il est capable de montrer aussi son soutien à des initiatives plus petites, mais pas banales, comme celle d’anciens prisonniers politiques. « On pense que notre témoignage collectif est le meilleur antidote pour éviter la répétition des barbaries », souffle-t-il.

Soutien du pape aux mouvements sociaux

Selon le journaliste, c’est d’autant plus important que la majorité de la hiérarchie catholique était complice de la dictature (1976 – 1983) – on parle de dictature militaire – civile – ecclésiastique. « Il y a eu une complicité active de certains secteurs de l’Eglise et un silence complice d’autres. Mais aussi une partie de l’Eglise – évêques, prêtres, sœurs – qui s’y sont opposés, détaille-t-il. A Coronda, des prêtres de la région de Rosario et Santa Fe étaient emprisonnés avec nous, et des centaines de prêtres, de religieux et de religieuses ont été portés disparus ». Jorge Bergoglio, quant à lui, était responsable des Jésuites d’Argentine.

Si Sergio Ferrari ne s’attendait pas à recevoir cette missive, il estime qu’elle est cohérente avec l’ouverture du pape envers les droits humains et la société civile. Pour preuve, François a invité plusieurs fois au Vatican les représentants des grands mouvements sociaux du monde entier, et d’Amérique latine en particulier, en tant qu’acteurs clés de la construction d’une planète différente, comme La Via Campesina, un mouvement de petits paysans. Il a aussi organisé une réunion sur l’Amazonie, où il a souligné la valeur de la terre et de sa distribution équitable.

L’association Periscopio a gagné un procès

De son côté, l’association Periscopio s’est constituée partie civile dans un procès qui, en 2018, a vu la condamnation de deux anciens directeurs de Coronda à 22 et 17 ans de détention pour crimes contre l’humanité. C’était le premier procès en Argentine contre des directeurs de prison sous la dictature et il a été instruit par la justice ordinaire, et non par la justice d’exception, qui a reconnu que le régime d’extrême sécurité, appliqué dans cette geôle et dans les autres, constituait un crime contre l’humanité – « c’est très important pour nous ! »

« Dans sa missive, le pape a ajouté une prière pour les réfugiés, ce qui reflète sa sensibilité. Dans notre association, nous nous demandons s’il y a une différence entre être torturé en prison ou mourir dans la Méditerranée en essayant de gagner l’Europe », conclut Sergio Ferrari.


Une version de cette chronique a été publiée dans l’Echo Magazine

COMMENTAIRES

WORDPRESS: 0
%d blogueurs aiment cette page :