The Monk and the Gun, la démocratie désarmée

The Monk and the Gun, la démocratie désarmée

The Monk and the Gun, deuxième long-métrage de Pawo Choyning Dorji, aborde avec ironie l’ouverture du Bhoutan au monde extérieur et à la démocratie. Il questionne un modèle de développement présenté comme le meilleur… Qui, tout compte fait, est le moins mauvais qu’on ait inventé

La démocratie est-elle l’aboutissement suprême du développement ? Et qu’est-ce que le développement, finalement ? A ces questions qui agitent la « communauté internationale » depuis plus d’un demi-siècle, le bhoutanais Pawo Choyning Dorji apporte une réponse ironique et pour le moins déroutante dans « The Monk and the Gun » (le moine et le fusil). Le talentueux réalisateur n’en est pas à son coup d’essai : après avoir questionné le Bonheur national brut – l’indicateur de progrès du royaume himalayen – dans Lunana, sorti en 2021, il s’attaque à une autre vache sacrée du narratif du développement : la démocratie.

Le film se base sur un fait réel : dans les années 2000, le Bhoutan s’ouvre à la modernité et les premières télévisions et internent font leur entrée dans le pays. En 2006, le roi décide de passer d’une monarchie absolue à une monarchie parlementaire et d’organiser des élections législatives en 2008.

« Nous sommes déjà heureux ! »

Pour préparer la population à voter – ce qu’elle n’a jamais fait -, le film imagine que des élections fictives sont organisées. Des émissaires dépêchés par le gouvernement forment les villageois. Ils arpentent les vallées reculées pour leur apprendre à choisir entre trois partis, sous les yeux des caméras de télévision du monde entier. Mais, à leur grande surprise, la population ne veut pas changer de système et vote à une écrasante majorité pour le parti du roi. « Vous allez être heureux ainsi », essaie de les convaincre la responsable, une femme résolument moderne. « Mais nous sommes déjà heureux !», rétorquent-ils avec candeur.

Les malentendus s’enchaînent, qui voient un Américain, considéré comme venant du pays le plus démocratique au monde, entraîné dans des situations plus cocasses les unes que les autres. Il sera désarmé par la simplicité, la piété et la bonne foi des villageois. Un choc des valeurs filmé avec sensibilité, sur fond de paysages sublimes et de monastères baignés d’encens, où la religion bouddhiste assure l’harmonie entre les gens.

Premières élections bhoutanaises remportées par un parti royaliste

Dans la réalité, les élections de 2008 ont effectivement été remportées par le Parti vertueux du Bhoutan, une formation de centre-droit, à l’idéologie royaliste et conservatrice, dirigé par un Bhoutanais formé aux Etats-Unis. Mais le Parti démocratique populaire, de centre-gauche, a remporté les élections législatives de 2013 et les dernières, en janvier 2024. Celles-ci ont été marquées par une campagne électorale calme et consensuelle, les cinq partis en lice ayant quasiment les mêmes programmes.

Alors les élections attisent-elles ou apaisent-elles les conflits ? Dans le film, on apprend à des gens qui ont toujours vécu en paix à se diviser en plusieurs camps et à s’affronter. Des différends éclatent dans les familles et un clientélisme se met en place dans l’espoir de tirer un bénéfice personnel en cas de victoire du candidat choisi.

Observatrice des élections municipales en Bosnie-Herzégovine en 1997

Sous son apparence innocente, cette satire tombe à pic. Sortie début 2024, elle pose des questions fondamentales, alors que 68 scrutins ont déjà été ou seront organisés par le monde d’ici la fin de l’année.

Il reste que la démocratie, loin d’être parfaite, est le système politique le moins mauvais qu’on ait inventé. Et il peut enthousiasmer les gens. En septembre 1997, j’ai moi-même participé à la mission d’observation des élections municipales en Bosnie-Herzégovine. Elle avait été organisées par l’OSCE après les accords de Dayton, qui avaient mis fin à la guerre civile.

J’avais été assignée au plus petit bureau de vote de la circonscription, 500 âmes. C’était un village perché sur une colline près de la ville de Tuzla. Le jour avant les élections, on était allés de maison en maison pour convaincre les habitants de se rendre aux urnes. On encourageait aussi les femmes à exprimer leur propre opinion et non celle de leur mari. On avait été accueillis chaleureusement à coup de Slivovitz, le spiritueux local. Le jour J, les hommes et les femmes avaient revêtu leurs plus beaux habits et étaient allés voter. Dans ce petit village de montagne, le taux de participation avait atteint les 98%, un record !

J’en garde un souvenir ému. Et la conviction que les élections sont le système politique le moins mauvais qu’on ait inventé. Pourvu qu’elles soient véritablement démocratiques…

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